Bientôt l’été, la saison des cartes postales. L’occasion d’avoir des nouvelles de notre Quartier latin d’antan, qui nous en a envoyé quelques unes. Nous sommes allés vérifier ce qu’il devenait sur Street View, l’application phare de Google Maps. Confrontations spatio-temporelles.
A tout seigneur, tout honneur: on entame ce tour d’horizon par la place Saint-Michel, porte d’entrée symbolique du Quartier Latin. La fontaine règne déjà avec majesté sur ce qui n’est alors qu’un petit lieu de passage pour fiacres et tramways.
Les piétons désinvoltes d’hier y réfléchissent désormais à deux fois avant de traverser la place. La fontaine semble s’effacer derrière le vacarme de la circulation. Ce qui ne déplaira sans doute pas aux Parisiens qui conspuent ce monument de mauvais goût. Le baron Haussmann avait commandé un édifice à Gabriel Davioud afin de combler un espace vide inesthétique. Ce devait à l’origine être une statue de Napoléon, mais le choix se porta finalement sur une représentation de Saint-Michel terrassant le Diable. Dès l’inauguration de la fontaine, en 1860, les quolibets s’élevèrent. Dans son Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve cite ce quatrain anonyme :
- « Dans ce monument exécrable,
- On ne voit ni talent ni goût.
- Le Diable ne vaut rien du tout ;
- Saint Michel ne vaut pas le Diable. »
Partant de la fontaine Saint-Michel, la rue Saint-André-des-Arts était une petite voie populaire et commerçante, entre les grandes artères haussmaniennes. Elle l’est restée jusque dans les années 1950.
La même adresse. Les coiffeurs de proximité ont déserté la rue depuis bien longtemps, laissant place à des magasins de mode où on ne rase plus gratis.
Un petit détour vers l’est pour arriver place Maubert. On la voit ici au début du XXème siècle, avec sa statue d’Etienne Dolet, écrivain et imprimeur du XVIème siècle qui fut condamné pour hérésie et brûlé avec ses livres en 1546, à cet endroit précis. André Breton, dans Nadja, immortalisera ce monument qui plonge son narrateur dans un malaise inexplicable.
La statue d’Etienne Dolet a disparu. Ce n’est ni un coup de l’Eglise, ni du narrateur de Nadja, ni des urbanistes de la Mairie de Paris. Elle fut détruite sous l’Occupation.
On remonte la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, jusqu’à apercevoir le clocher de l’église Saint-Etienne-du-Mont, à peu près à l’époque où Huysmans lui consacrait un long passage dans En Route (1895), la décrivant comme l’une des plus belles églises de Paris.
Le débouché de la rue est plus large, les murs sont plus propres: les touristes qui viennent photographier le Panthéon ont remplacé les étudiants pauvres qui se saoulaient dans les gargottes de la montagne Sainte-Geneviève, sous l’égide de Pascal et Racine, tous deux enterrés dans l’église Saint-Etienne-du-Mont.
Rue Soufflot, boulevard Saint-Michel… on longe le Luxembourg pour arriver à Port-Royal, ce quartier qui, selon Balzac, n’en est pas un. Il l’est encore moins depuis que le Bal Bullier, où le Quartier latin est venu s’encanailler de 1804 à 1940, a été détruit et remplacé par…
… ça. Pour les nostalgiques, une brasserie sur le carrefour a repris le nom de cet endroit mythique qui, soyons honnêtes, était sur ses dernières années devenu un bordel plus qu’autre chose. Le fronton du bal, que l’on voit sur la photo précédente, a été détruit. Il y avait écrit dessus « Salvatit et placuit« , « il sauve et apaise ». On ne peut pas en dire autant du CROUS.
On ne pouvait pas clore cette promenade sans passer par l’endroit qui, peut-être plus qu’aucun autre, symbolise à lui seul la mutation du quartier: Saint-Germain-des-Prés. A l’époque où cette carte postale est éditée, on est encore loin des pétillantes heures du jazz et de l’existentialisme. C’est encore le faubourg Saint-Germain de Marcel Proust et de l’hôtel particulier des Guermantes. Un vieux monde qui s’apprête à mourir, et à laisser place au tumulte d’une jeunesse…
… qui vieillira à son tour.
David Caviglioli